Analyse: territoire, personnes âgées et fragilisation (CEAT-EPFL)

En tant que collaborateur scientifique à la Communauté d’études pour l’aménagement du territoire (CEAT/EPFL), j’ai dirigé et réalisé la recherche “Territoire et personnes âgées”. Une recherche financée par la Fondation Leenaards. L’objectif était alors d’évaluer l’adéquation entre les besoins et aspirations des personnes âgées et leur territoire de résidence. La recherche a montré que la qualité de vie des personnes âgées devenues fragiles dépend à la fois des caractéristiques de leur commune de résidence, mais aussi de leur biographie et du territoire de vie qu’elles ont constitué jusqu’à présent.

Le rapport complet (télécharger):
NIEDEROEST, Régis ; BONRIPOSI, Mariano ; CHENAL, Jérôme, 2016. Territoire et personnes âgées ; recherche exploratoire. Lausanne : CEAT/EPFL.
Interview de groupe menée lors de la recherche: donner un temps de parole de qualité à chacunE et tenter de faire résonner les réflexions de chacunE auprès des autres
Consultations dans un centre urbain, une commune suburbaine et un village périurbain

Trois consultations ont été organisées auprès de 24 personnes âgées de 65 ans et plus dans des territoires du canton de Vaud de type central (le centre de Renens), suburbain (Chavannes-près-Renens) et périurbain (Villars-Sainte-Croix). Ce mode de consultation, à travers des discussions semi-dirigées en petit groupe assis autour d’une table, a permis de donner un temps de parole de qualité à chacun-e, de faire résonner les interrogations et réflexions de chacun-e, d’approfondir et de compléter significativement les questions et enjeux identifiés en amont.

Répondre aux besoins fonctionnels mais aussi aux aspirations existentielles

Les consultations ont d’abord rappelé que, pour les personnes âgées devenues fragiles, la qualité de vie consiste non seulement à continuer de subvenir à leurs besoins fonctionnels (logement, alimentation, santé), mais aussi de continuer à vivre leurs aspirations existentielles (activités et engagements divers, liens amicaux et familiaux, repères biographiques, etc.).

Face à la perspective de perdre des capacités de déplacements, les avis et attentes sont similaires entre tous les participants: les habitants des trois territoires ont besoin d’une offre suffisante de services et activités de proximité, ainsi qu’une bonne accessibilité piétonne et en transports publics; tous affirment qu’un déménagement dans un logement plus adapté est un dernier recours car ils sont attachés à leur lieu de vie.

Un territoire de vie plus grand et une vulnérabilité accrue dans le village périurbain

La perte du permis de conduire soulève les craintes et les inconnues les plus fortes auprès des habitants de la commune périurbaine, Villars-Sainte-Croix. En effet, les habitants des communes périurbaines, davantage que les habitants des centres urbains, ont construit leur mode de vie et leur qualité de vie avec une voiture et sur de vastes territoires. La perte du permis de conduire devient alors un grand risque pour leur autonomie et leur qualité de vie, car il devient plus difficile d’aller faire ses courses loin de chez soi, d’aller à l’hôpital en ville, de rencontrer ses proches dispersés dans les villages de la région, etc. Une des nécessités est alors, aussi, de créer des contacts dans le territoire de résidence, afin de conserver une vie sociale et de bénéficier d’entraide près de chez soi.

Les cartes des territoires de vie montrent, en effet, que le maintien de la qualité de vie est plus difficile dans la commune périurbaine (Villars-Sainte-Croix) que dans la commune suburbaine (Chavannes-près-Renens) située quasiment au coeur de l’agglomération.

  • Le territoire de vie principal à Chavannes-près-Renens est compact (voir image de gauche ci-dessous), environ 3km2 et la commune compte, en outre, un accès direct aux destinations à longue distance grâce à la gare CFF de Renens;
  • A Villars-Sainte-Croix (image de droite ci-dessous) le territoire de vie est bien plus vaste, plus de 50km2, avec peu de liaisons de transports publics.
Territoire de vie des habitants de Chavannes-près-Renens: 3km2
Territoire de vie des habitants de Villars-Sainte-Croix: 50km2
Recommandations pour faire évoluer les territoires et les modes de vie

Pour renforcer l’indépendance et la qualité de vie des personnes âgées, il s’agit donc d’envisager une évolution à la fois des territoires et des modes de vie:

  • Porter une attention particulière aux territoires périurbains: le vieillissement de la population va y progresser le plus, alors que ces territoires se considèrent encore souvent comme jeunes, qu’ils sont fortement dépendants de l’automobile et qu’ils peinent à conserver des services de proximité;
  • Adapter le lieu de résidence plutôt qu’imposer le déménagement; réaliser un urbanisme de qualité en concevant des solutions partagées avec les autres générations, avec des services, activités, espaces de rencontre, espaces publics et d’agrément de proximité et des liaisons piétonnes facilitées.
  • Faciliter l’accessibilité en transports publics, non seulement à l’intérieur de la région, vers leurs centres, mais également vers l’extérieur avec des liaisons et interfaces adaptées;
  • Impliquer les personnes âgées dans l’adaptation des territoires pour répondre à la variété de leurs besoins fonctionnelles et aspirations existentielles et ne pas tomber dans le piège de l’image des retraités inactifs;
  • Développer de l’habitat adapté dans les centres cantonaux, régionaux et locaux afin, le cas échéant, de proposer une alternative dans un territoire connu;
  • Sensibiliser et informer sur la fragilisation, la diminution des capacités de déplacement et en particulier de la perte du permis de conduire;
  • Encourager les contacts, la vie sociale et l’entraide dans les communes.